C'est quoi l'ADN fossile ? Comment le préléve t-on ? Comment on l'utilise ? ... ?
Paleogénomique
La fragilité de l'ADN et sa conservation
L'ADN est certes une molécule stable, mais elle n'est pas éternelle. Sa dégradation commence même aussitôt la mort d'un individu survenue ; les membranes de cellules cèdent en effet, les tissus se désorganisent et baignent dans leurs propres liquides. Bref, tout est réuni pour que des réactions d'hydrolyse se produisent. Résultat : les molécules d'ADN se fragmentent et certaines des lettres constitutives de l'information génétique sont peu à peu effacées. Ce n'est pas tout : les réactions d'oxydation poursuivent leurs irréversibles dégâts. Les chimistes estiment que dans ces conditions, une dizaine de milliers d'années peut suffire à venir à bout de la dernière molécule d'ADN. Ajoutez à cela les effets des organismes décomposeurs et vous comprendrez qu'il n'y a absolument aucune chance de retrouver de l'ADN à des époques aussi lointaines que celles des dinosaures. Jusqu'à quelle époque peut-on alors remonter ? Quelques dizaines de milliers d'années tout au plus. À moins que des conditions environnementales n'aient considérablement ralenti les réactions de dégradations, car alors peut-on atteindre à l'extrême limite quelques centaines de milliers d'années. De manière surprenante, de tels coffre-forts ne sont pas à rechercher du côté des vestiges conservés dans l'ambre dominicain ou des momies égyptiennes mais du côté des spécimens congelés dans les glaces de Sibérie ou du Groenland ou les pergélisols péri-arctiques. Car mieux que tout autre facteur, c'est le froid qui préserve le plus des outrages du temps.
Ainsi, les spécimens de Mammouth laineux - congelés entier dans les glaces - ou encore Ötzi - le chasseur retrouvé dans un glacier alpin plus de cinq mille ans après sa mort - contiennent-ils encore de l'ADN relativement bien conservé. Cela dit, ces conditions là sont plutôt exceptionnelles. Heureusement, bien d'autres vestiges peuvent encore receler des traces d'ADN, pourvu que leur environnement, par sa chaleur et son humidité, n'ait pas hâté le processus de dégradation. Des poils, des cheveux, des graines, des fragments de bois, mais surtout des os et des dents fossilisés ; voici le matériel de choix de l'apprenti paléogénéticien (chercheur d'ADN fossile). Et quelquefois, même, des vestiges plus saugrenus délivrent leurs précieuses informations. Tel est le cas des coprolithes (excréments fossilisés) qui ont par exemple permis de déterminer une partie des ingrédients qui avaient servi à préparer le repas d'un Américain mort deux mille cinq cents ans avant Jésus-Christ, ou encore trahi l'existence d'une espèce de paresseux méconnue et qui s'est éteinte lors du dernier épisode glaciaire, voilà douze mille ans.
Momie (Ramsès II)
Otzi conservé dans un glacier alpin
Poils de mammouth
Insectes pris dans l'ambre
Des conditions opératoires strictes, des techniques en évolution et de nouveaux horizons
Techniquement, récupérer de l'ADN à partir d'un reste fossile est une opération extrêmement délicate. Tout d'abord, ce qui reste de l'ADN de départ est mal-en-point. Notre ADN, et même celui qui est contenu dans la charcuterie de nos sandwichs, est donc infiniment en meilleur état. Il faut donc prendre les mesures les plus drastiques pour être sûrs de ne pas prendre le second (notre ADN) pour le premier (l'ADn des fossiles). Certes, l'erreur serait facile à repérer car la séquence de régions bien choisies de l'ADN peut servir, nous l'avons vu, à faire la différence entre les espèces. Mais qu'il serait dommage d'entreprendre une si contraignante et coûteuse analyse pour finir par mettre les résultats à la poubelle ! Concrètement, « mesures drastiques » signifient travailler à la fois avec un équipement stérile (blouse, charlottes, gants, surchausses à usage unique) et dans des locaux aussi exempts d'ADN que possible. Pour cela, les surfaces sont nettoyées quotidiennement à l'eau de javel et en permanence exposées aux rayons ultraviolets. De plus, l'atmosphère est maintenue en surpression, afin d'éviter toute entrée indésirable d'ADN depuis l'extérieur. Toutes ces précautions visent à minimiser la part des contaminations par l'ADN actuel.
Principe de la PCR
Polymerase Chain Reaction (amplification en chaîne par polymérase). Cette technique permet d'obtenir, à partir d'un échantillon complexe et peu abondant, d'importantes quantités d'un fragment d'ADN (environ 1 million de copies en quelques heures). C'est, généralement suffisant pour une utilisation ultérieure.
Voilà pour le matériel. Voyons maintenant le protocole opératoire. Tout commence par le broyage d'un échantillon d'environ cinq cent milligrammes d'un fossile. Ensuite, la poudre est mise à incuber plusieurs heures dans un tampon facilitant la dégradation des matériaux indésirables (protéines par exemple), et s'il s'agit de la poudre d'os ou de dents, d'un agent dissociant la matrice calcifiée. Résultat : l'ADN, s'il est encore préservé, est libéré dans le tampon. La suite des opérations ne vise donc plus qu'à le précipiter et concentrer dans un volume facilitant sa manipulation. Cependant, à ce stade, ne subsistent que de rares traces d'ADN en mauvais état, soit autant de mauvais substrat relativement réfractaires aux techniques classiques de séquençage. Il faut donc généralement viser une région précise du génome et la photocopier des milliards de fois avant d'espérer déterminer la séquence souhaitée. C'est précisément l'objet de la PCR (Polymerase Chain Reaction, ou Réaction de Polymérisation en Chaîne), une technique de biologie moléculaire mise au point au milieu des années 1980, et désormais courante dans les laboratoires. Cependant, si la technique présente l'avantage de ramener en quantités suffisantes des substrats qui ne subsistaient plus qu'à l'état de traces, la technique peut, si l'on n'y prend garde, tout aussi bien multiplier ad infinitum nos indésirables contaminants. L'étape est donc particulièrement risquée et délicate et nécessite de nombreux contrôles de qualité. Mais on n'est pas encore au bout de ses peines : les molécules d'ADN fossile étant particulièrement abîmées, les photocopier engendre de très nombreuses coquilles. Il faudra donc encore dépouiller les exemplaires photocopiés de ces coquilles avant de recomposer la séquence finale. Et gage ultime d'authenticité, la séquence doit être reproduite plusieurs fois, et de préférence, dans un laboratoire indépendant.
Long et périlleux est donc le chemin qui mène à une séquence d'ADN fossile. Et pourtant, combien cette dernière est courte ; en effet, dans les fossiles, l'ADN n'est pas conservé sous la forme de longs chromosomes intègres mais sous la forme de très courts fragments. Aussi ne peut-on généralement espérer obtenir suite à une photocopie qu'un fragment long de cent cinquante à deux cents nucléotides ! Inutile de préciser que dans ces conditions, plusieurs fragments seront nécessaires avant d'obtenir une quantité d'information suffisante pour répondre aux questions posées. Autre point très important : le plus souvent, les gènes ciblés ne correspondent pas à des gènes portés par les chromosomes. Ils sont hébergés par un autre type d'ADN qui dans nos cellules, n'est pas contenu dans le noyau mais dans d'autres compartiments : les mitochondries (il s'agit donc de l'ADN mitochondrial). C'est au sein des mitochondries que s'opère les réactions de respiration dans nos cellules. Certes, cet ADN-là est-il généralement court - environ seize mille nucléotides chez l'Homme – mais il présente plusieurs avantages : d'une part, son évolution est rapide si bien qu'il sera possible de suivre des événements du passé avec une bonne résolution et d'autre part, chaque cellule présente au bas mot un millier de mitochondries. Autant dire, un millier de molécules d'ADN mitochondrial. Or, chaque chromosome dans notre noyau n'est présent qu'en deux exemplaires. Ainsi, en ciblant spécifiquement l'ADN mitochondrial, les paléogénéticiens multiplient-ils les chances de réussir à mettre la main sur un bout d'information encore conservée. L'ADN mitochondrial présente toutefois une particularité notable : il ne se transmet que de mère à enfant. Ainsi, il sera d'une totale inutilité pour effectuer d'éventuels tests de paternité.
Mi-2006, une modification subtile de la technique de PCR a cependant permis de s'affranchir de l'ADN mitochondrial en permettant à des paléogénéticiens de reconstituer la séquence totale d'un des gènes responsables de la couleur des poils du Mammouth laineux. Or, fin décembre 2005, une nouvelle technique de séquençage avait déjà révélé tout son potentiel à la communauté des paléogénéticiens. Grâce à elle, il a été possible d'obtenir plus de treize millions de nucléotides de gènes localisés sur les chromosomes du Mammouth laineux ! Ainsi, les gènes portés par nos chromosomes devraient-ils à l'avenir être de plus en plus la cible des paléogénéticiens. Avec eux s'ouvriront toute une variété de questions nouvelles, par exemple relatives à l'allure des espèces préhistoriques, comme leur couleur de peau par exemple. Aussi, certains laboratoires très sérieux, comme celui dirigé par Svante Pääbo à Leipzig, annoncent-ils déjà le séquençage du génome complet de l'Homme de Néandertal ! Celui du Mammouth est quant à lui déjà en cours. Autant de promesses qui rendent l'actualité de la paléogénétique particulièrement attrayante. Mais d'ores et déjà, cette discipline a permis de résoudre des énigmes très intéressantes.